Le « Grand Bleu » intérieur : dans la tête à 20 mètres

Pourquoi descendre ? C’est la question la plus simple et la plus profonde de l’apnée. Pourquoi quitter l’air, la lumière et le confort pour s’enfoncer dans un monde de silence, de pression et de pénombre, avec pour seule ressource une unique bouffée d’air ?

La réponse ne se trouve pas dans la performance. La profondeur n’est pas une destination, c’est un prétexte. Le véritable voyage n’est pas vers le bas, il est vers l’intérieur. Et à mesure que le corps s’enfonce, l’esprit, lui, s’élève.

Embarquez avec moi pour une descente, non pas en mètres, mais en sensations.

De 0 à 10 mètres : l’adieu au monde

Les premiers mètres sont ceux de l’action. Le canard, le palmage, les premières compensations. Le mental est encore actif, concentré sur la technique. « Mes oreilles, ma position, mon palmage… » On entend encore les bruits de la surface, le clapotis, le moteur d’un bateau au loin. Les couleurs sont vives, la lumière danse sur les rochers. On est encore un visiteur, un étranger qui vient d’entrer. C’est la phase de la transition, celle où l’on dit au revoir au monde terrestre.

De 10 à 20 mètres : l’étreinte du bleu

Puis, quelque chose bascule. Autour de 10-12 mètres pour la plupart d’entre nous, on atteint la flottabilité négative. L’effort cesse. La lutte contre la poussée d’Archimède est terminée, et la « chute libre » commence. Le palmage devient inutile. On se laisse couler. C’est le premier grand lâcher-prise.

Et c’est là que les transformations s’opèrent :

  • Le son disparaît. Le silence n’est plus une absence de bruit, il devient une présence. Une ouate épaisse et bienveillante qui enveloppe et isole. On n’entend plus que soi-même, son propre sang qui circule.
  • Les couleurs s’effacent. Le rouge, puis l’orange, puis le jaune sont absorbés par l’eau. Le monde devient un camaïeu infini de bleus, de gris et de noirs. Le paysage se simplifie, l’esprit aussi.
  • La pression devient une caresse. Ce qui pouvait être une gêne devient une sensation d’enveloppement total. L’océan ne pèse plus sur vous, il vous prend dans ses bras. C’est une étreinte qui vous connecte à chaque centimètre de votre peau.

À 20 mètres : l’instant de pure existence

Et puis on arrive. On stabilise la descente. On se retourne pour regarder le fond du filin, ou simplement on s’arrête, en apesanteur dans le bleu infini. Et là, si toutes les conditions sont réunies, si la relaxation est totale, le miracle se produit.

Le « singe bavard » dans notre tête, ce flot de pensées continues sur le passé, le futur, les soucis, les listes de courses… se tait. Il n’y a plus assez d’énergie mentale pour l’alimenter. Il n’y a plus que le présent. L’instant. Pur. Brut.

Il n’y a plus de « je pense », il y a juste « je suis ». Je suis un point de conscience dans un univers de silence et de bleu. C’est un état de clarté incroyable, une forme de méditation si profonde qu’elle n’est plus un exercice, mais un état d’être. Chaque seconde dure une éternité.

La remontée : le retour à soi

Le voyage retour est différent. C’est une décision consciente. On se remet en mouvement, on accompagne le filin, on palme doucement vers cette lumière lointaine qui grandit. Et à mesure que l’on remonte, le monde revient. Les couleurs réapparaissent timidement. Les sons filtrent à nouveau. Le corps se souvient qu’il a besoin d’air. C’est le retour progressif à la complexité du monde.


On ne descend pas à 20 mètres pour le sport ou pour un chiffre. On y descend pour toucher du doigt cet état de simplicité absolue. On remonte à la surface non pas avec une performance, mais avec un souvenir. Le souvenir d’un silence qui nous a parlé, et qui continue de résonner en nous, longtemps après être sorti de l’eau. C’est ce fragment de bleu et de paix que l’on vient chercher.

À bientôt dans le bleu,

– Maël

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