Ma rencontre avec un poulpe timide à Groix

Il y a des sorties en mer qui ne sont ni pour la performance, ni pour l’entraînement. Des sorties où le seul but est de se laisser porter, de redevenir un simple observateur. C’était un de ces jours-là. Un après-midi d’août à Groix, quand la lumière commence à décliner et dore la surface de l’eau. La mer était calme, l’air était doux. Une invitation.

Je me suis mis à l’eau sans autre plan que de suivre le dédale rocheux qui borde l’une de mes criques préférées. Juste une balade sous-marine. Les premiers mètres sont un ballet familier : le balancement des longues laminaires, les bancs de petits tacauds qui s’écartent sur mon passage, le jeu du soleil qui dessine des arabesques sur le sable.

Je n’attendais rien, et c’est souvent dans ces moments-là que la mer décide de vous offrir un cadeau.

Mon regard fut attiré par un détail anormal sur un rocher tapissé d’algues colorées. Une texture différente. Une couleur qui ne semblait pas tout à fait appartenir à la pierre. Je me suis arrêté, stabilisé en pleine eau à quelques mètres de distance, et j’ai attendu. En apnée, la patience n’est pas une vertu, c’est un outil.

Lentement, la forme a changé. Ce qui n’était qu’une excroissance de la roche s’est animé. Deux petites cornes sont apparues, puis un œil. Un œil incroyable, fendu d’une pupille rectangulaire, qui me fixait avec une intensité insondable. C’était lui. Un poulpe. Parfaitement camouflé, il était là depuis le début, me regardant bien avant que je ne le repère.

Je suis resté immobile, contrôlant mon rythme cardiaque, essayant de lui paraître aussi inoffensif qu’un rocher de plus dans le paysage. J’ai fait une ou deux remontées lentes à la surface pour respirer, puis je suis redescendu me positionner au même endroit.

Le poulpe, sentant sans doute que je ne représentais aucune menace, a commencé son spectacle. Lentement, il a déployé un premier tentacule, puis un deuxième, explorant le rocher autour de lui avec une grâce infinie. Sa peau changeait de couleur et de texture à chaque seconde, passant du brun granuleux de la roche au blanc laiteux, avec des pulsations presque psychédéliques. Ce n’était pas un animal, c’était une intelligence liquide, une œuvre d’art vivante.

L’apnée offre ce privilège unique : le silence. Sans le bruit des bulles d’un plongeur bouteille, la connexion semble plus directe, plus intime. Pendant cinq minutes, qui m’ont semblé une éternité, nous nous sommes observés. J’étais un visiteur dans son salon. Il était le roi de son royaume. Il n’y avait aucune peur, juste une immense curiosité mutuelle.

Puis, aussi subitement qu’il était apparu, il a décidé que la rencontre était terminée. D’une ondulation fantomatique, il a glissé le long de la roche, s’est engouffré dans une faille et a disparu. Il ne fuyait pas. Il rentrait chez lui.

Je suis remonté à la surface avec un sentiment de gratitude immense. Ces rencontres nous rappellent une chose essentielle : nous ne sommes que des invités dans ce monde sous-marin. Un monde de secrets, de beauté et d’une intelligence que nous commençons à peine à comprendre. Ce n’est pas la profondeur ou le chronomètre qui font la richesse d’une plongée, mais ces moments suspendus.


Ce jour-là, je n’ai pas battu de record. Je n’ai pas amélioré ma technique. J’ai reçu bien plus. C’est cette magie, cette possibilité de la rencontre, que j’essaie de partager à chaque sortie en mer. On ne sait jamais ce que l’océan nous réserve, et c’est précisément ça qui nous pousse à y retourner.

À bientôt dans le bleu,

– Maël

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