Il y a un mot dans le monde de l’apnée qui est chargé de crainte, un mot que l’on prononce parfois à voix basse : la syncope. Ce mot fait peur, car il est associé au risque ultime de notre pratique. Mais la peur naît souvent de l’inconnu.
Cet article n’est pas là pour vous faire peur. Il est là pour faire le contraire : pour vous rendre plus compétent, plus serein, et donc plus libre. Car la vraie sécurité en apnée ne vient pas de l’ignorance ou de la chance, mais de la connaissance, du respect des règles et de la confiance absolue en son binôme.
Alors, aujourd’hui, parlons-en, calmement et clairement.
1. Comprendre : qu’est-ce que la syncope, simplement ?
La syncope hypoxique, ou perte de connaissance, est un mécanisme de protection du cerveau. C’est comme un disjoncteur. Lorsque le cerveau détecte que le niveau d’oxygène devient critiquement bas, il décide de « couper le courant » des fonctions non essentielles pour préserver ses propres ressources. Cela entraîne une perte de conscience.
En soi, ce n’est pas un événement violent. Mais son immense danger vient de l’endroit où il se produit : l’eau. Une personne inconsciente dans l’eau, si elle n’est pas secourue immédiatement, est en danger de noyade. C’est la seule et unique raison pour laquelle la syncope est le risque majeur de notre sport.

Graphique pour une apnée en mer d’environ 4 minutes (240 secondes), divisée en trois phases typiques :
- Descente (0–60s) : O₂ commence à baisser, CO₂ monte doucement.
- Immersion au fond (60–150s) : O₂ continue à diminuer, CO₂ s’accumule plus rapidement.
- Remontée (150–240s) : La phase critique — l’oxygène approche du seuil de perte de connaissance (~60%), tandis que le CO₂ frôle des niveaux déclenchant une forte envie de respirer (~80 mmHg).
Les lignes en pointillés marquent ces seuils critiques. Cette courbe varie selon le type de plongeur (débutant, confirmé, professionnel).
2. Reconnaître : la « samba » et le silence de la syncope
Juste avant la syncope peut se produire ce que l’on appelle une « perte de contrôle moteur » (PCM), ou plus familièrement une « samba ». La personne, souvent juste en arrivant à la surface, se met à avoir des tremblements, des mouvements saccadés et incontrôlés de la tête ou des membres. Elle est généralement semi-consciente et a besoin d’être immédiatement soutenue, les voies aériennes hors de l’eau.
Mais la syncope elle-même est différente. Et c’est le point le plus important de cet article : pour celui qui la vit, la syncope ne prévient pas. Il n’y a pas de signe avant-coureur, pas de « lumière qui baisse », pas de vertige. L’apnéiste se sent bien, et l’instant d’après, il est inconscient.
C’est pour cela que la phrase « je me connais, je sais où est ma limite » est dangereuse. Personne ne sent venir une syncope. Et c’est pour cela que la présence, l’attention et la compétence de votre binôme sont tout ce qui compte.
3. Prévenir : comment éviter le risque ?
La bonne nouvelle, c’est que la syncope n’est pas une fatalité. Elle est presque toujours la conséquence d’une ou plusieurs erreurs. En connaissant les facteurs de risque, on peut les éliminer.
- Ne jamais hyperventiler : Le fait de respirer vite et fort avant de plonger ne stocke pas plus d’oxygène. En revanche, cela fait chuter votre taux de CO2. Or, c’est le CO2 qui déclenche l’envie de respirer. En l’éliminant, vous supprimez votre propre système d’alarme et vous risquez d’atteindre votre limite d’oxygène sans vous en rendre compte.
- Bien s’hydrater et bien manger : La déshydratation et l’hypoglycémie augmentent considérablement la fatigue et la consommation d’oxygène.
- Être reposé et détendu : La fatigue, le stress ou le froid sont vos ennemis. Ils consomment vos réserves. Si vous ne vous sentez pas bien, ne forcez pas.
- Avoir un lestage correct : Être sur-lesté rend la remontée, phase la plus critique, beaucoup plus difficile et coûteuse en énergie.
- Respecter des temps de récupération : En surface, prenez le temps de vous reposer. Une bonne règle est de récupérer au moins le double de son temps d’apnée.
4. Agir : la procédure de sauvetage en 5 temps
Si malgré tout, une situation survient, le binôme doit appliquer une procédure simple et répétée à l’entraînement.
- Saisir et remonter : Dès que le comportement de l’apnéiste semble anormale (arrêt de la progression, relâchement du corps), le binôme le saisit et le remonte immédiatement à la surface.
- Maintenir les voies aériennes hors de l’eau : La priorité absolue. On retire le masque et le tuba, on place une main sous le menton pour garder la tête en arrière et le nez et la bouche bien à l’air libre.
- Souffler : On souffle de manière brève et forte sur le visage et les yeux de la victime. Ce « choc » sensoriel suffit très souvent à déclencher un réflexe respiratoire.
- Stimuler : En même temps, on parle à la personne d’une voix forte et claire (« Maël, respire ! »), on lui tapote la joue, on la « secoue » verbalement.
- Alerter : Dans l’immense majorité des cas, la personne reprend conscience en quelques secondes. Si ce n’est pas le cas, on alerte les secours et on commence les procédures de premiers secours (insufflations).
La syncope ne doit pas être un monstre caché sous le lit. Elle doit être un sujet connu, étudié et maîtrisé. En apnée, on ne joue pas avec sa vie, on apprend à la célébrer avec intelligence et respect.
Un apnéiste bien formé, qui connaît ses limites, respecte les règles et plonge avec un binôme compétent et attentif, pratique un sport remarquablement sûr. Veillez sur votre binôme comme vous aimeriez qu’il veille sur vous. C’est ça, le cœur et l’esprit de l’apnée.
À bientôt dans le bleu,
– Maël